Les efforts logiciels d’Apple en direction de Windows ont sérieusement décru au fil des années. Une application importante comme Safari a cessé d’être mise à jour, tout comme d’autres à moindre visibilité. Une évolution qui illustre la manière dont les rapports de force ont changé ces dix dernières années. Le Journal du Lapin dresse la liste de ces applications Apple qui n’évoluent plus côté Windows, sinon a minima. De façon plus générale, cela pose la question de savoir si, demain, Apple ira vers Android comme elle a jugé autrefois nécessaire d’être sur Windows.
Parmi les abandons il y a bien sûr Safari, arrivé sur Windows en juin 2007 avec la version 3. Un navigateur décrit par Steve Jobs comme le « plus rapide et le plus facile à utiliser au monde ». C’était vrai à son lancement, mais ces affirmations ont été progressivement battues en brèche par les navigateurs concurrents et probablement aussi parce que Safari Windows n'a pas reçu toute l’attention nécessaire de la part de son géniteur. Ajoutez à cela une santé retrouvée du Mac et une montée en puissance phénoménale de l’internet mobile et l’on peut admettre volontiers que les priorités d’Apple n’étaient plus les mêmes. En juillet 2012, Safari 6 est sorti sur Mac sans son cousin sur Windows et sans oraison funèbre chez Apple. C’est Microsoft qui s’en est chargé à sa manière.
C’est quelques années plus tôt, en octobre 2003, que le vrai coup de tonnerre a eu lieu avec l’annonce d’iTunes pour Windows intégrant la nouvelle version du Music Store. À l’époque, il devenait difficile pour Apple d’ignorer les perspectives offertes par l’immense marché du PC pour son iPod qui n’en était qu’à sa troisième génération. Sur toute l’année 2003, Apple avait vendu 939 000 iPod, en 2004 elle en écoulera au total 4,4 millions (ce fut aussi l’année de l’iPod photo et surtout du très populaire mini).
Autant Apple a pu se permettre de laisser tomber son navigateur en version PC puisque la bataille s’est déplacée sur les mobiles, autant iTunes reste un rouage majeur (toutefois aucune version optimisée pour l’interface Metro n’a été écrite pour Windows 8).
Le Lapin cite d’autres exemples de logiciels qui n’ont plus reçu la même attention que par le passé. QuickTime est resté à sa version 7 alors que la mouture OS X a été complètement transformée ; les toutes dernières bornes AirPort ne peuvent être administrées depuis l’Utilitaire AirPort pour PC, et Bonjour pour Windows n’a guère évolué depuis quatre ans. Le panneau d’iCloud, lui, continue de recevoir des mises à jour, une exception à la règle partagée avec iTunes.
Microsoft en force sur iOS
Microsoft a toujours eu une présence importante sur Mac, depuis les débuts, mais elle redouble d’efforts aujourd’hui pour s’attacher sinon garder les faveurs des clients Apple. Cela contraste avec ce que fait Apple en direction des utilisateurs Windows.
Office est arrivé sur iPhone puis a été lancé sur iPad dans une version nettement plus sophistiquée. Un client Windows Phone est distribué sur le Mac App Store en 2011 et, depuis, il reçoit des mises à jour au moins annuelles. Sans oublier les utilitaires Xbox, OneDrive OneNote ou Bing offerts sur iOS et OS X. Un Bing utilisé par Apple dans l’iPhone depuis iOS 7. Sur ce dernier point, cela répond à un besoin partagé d’Apple et de Microsoft : s’émanciper de Google pour l’un, faire un peu plus tourner son moteur de recherche pour l’autre.
Aux 25 applications iPad de Microsoft sur l’App Store ne répond aucune application d’Apple sur le store Windows Phone (mais il y a de nombreux thèmes pour donner à ces téléphones un air d’iOS 6 ou 7…). Pour quoi faire d’ailleurs ? À une Microsoft imposante sur les PC mais transparente sur le mobile a répondu une Apple coriace sur les bureaux et incontournable sur les mobiles. L’évolution du marché étant ce qu’elle est, ce n’est plus Apple qui est dans la nécessité de figurer à tout prix sur la plateforme de son adversaire, mais l’inverse.
Aujourd’hui, la question n’est plus tant de savoir si Apple va adapter tel ou tel de ses logiciels pour Windows, mais si elle ira vers Android. Il n’y a pas forcément urgence, la situation n’est pas critique comme elle l’était il y a plus de dix ans face à Microsoft. iOS est un écosystème autrement plus puissant que ne l’était hier celui du Mac.
Apple a-t-elle besoin d’Android ?
Pour Apple, porter l’un de ses logiciels phares vers une plateforme concurrente, surtout Android, résonnerait d’abord comme un aveu de faiblesse avant d’être apprécié comme la manifestation d’une politique d’ouverture. Surtout qu’au vu de la détestation affichée pour le système de Google cela semble a priori bien peu envisageable. Lorsque Steve Jobs était revenu chez Apple, il avait d’une certaine manière enterré la hache de guerre avec Microsoft et cherché d’autres relais de croissance en dehors du "desktop". Sur le mobile, la bataille fait encore rage.
Google, à l’inverse, est largement présente sur iOS et de belle manière il faut le reconnaître (lire La grande application de Google sur iOS) Pourtant, l’assise de Google sur le marché de l’internet mobile est plus que solide. Seulement, son modèle économique basé sur la pub et sur la collecte de données des utilisateurs lui dicte cet impératif de pluralité. Qui plus est face aux millions et aux millions d’utilisateurs iOS dans la nature qui ne peuvent être ignorés. Pour Apple, qui fonctionne d’abord grâce à la vente de produits et de contenus, ce portage serait probablement perçu comme le signe que sa propre plateforme est devenue trop étroite pour assurer à elle seule la croissance de son activité. C’était le cas d’iTunes avant qu’il ne soit porté sur PC et qu’il n’ouvre plus grand le robinet des ventes d’iPod et de musique.
On peut lancer l’hypothèse d’une version Android d’iMessage ou de FaceTime (on se gardera de suggérer Plans qui n’apporte pas suffisamment de valeur ajoutée). Cela rendrait ces services plus universels, aptes à affronter Skype ou WhatsApp, mais y a-t-il un intérêt économique pour Apple ? Pas sûr. Il ne s’agit pas de conforter les utilisateurs dans leur choix d’une plateforme concurrente, mais de leur donner les moyens de continuer de l’utiliser tout en venant consommer sur la sienne. Avec de la chance, quelques-uns traverseront peut-être la frontière pour de bon.
On peut citer également iWork (qui fonctionne déjà sur Windows via un navigateur web) et ses apps natives. Mais la réflexion est identique à celle d’iMessage. De même qu’iCloud avec son service de Mail, comment monnayer ces services face à des solutions concurrentes bien installées, de bonne tenue et gratuites ?
Des applications Musique et iBooks pour Android sont à ce titre des candidats plus crédibles au portage. Elles sont des entrées vers des contenus supplémentaires : de la publicité (iRadio) ou des abonnements (un possible futur service de streaming). Mais à ce jour, rien ne permet de penser qu’un tel pas sera fait en direction d’Android. Si d’aventure un nouveau service de streaming est lancé, comme le suppute la rumeur depuis la révélation des discussions avec Beats, il sera intéressant de voir si Apple se décide à l’ouvrir aux autres plateformes mobiles. Comme l’ont fait, bien obligés qu’ils étaient pour s’imposer, les Rdio, Pandora, Spotify et Beats, ou si Apple s’estime encore suffisamment forte pour le réserver à ses seuls clients.