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iPad à l'école : les défis d'un retour d'expérience

Mickaël Bazoge

Thursday 01 May 2014 à 16:55 • 42

Matériel

Mettre un iPad entre les mains d'élèves, c'est une idée qui fait son chemin. Il ne suffit évidemment pas de leur offrir une tablette : c'est tout le système éducatif qui doit accompagner l'utilisation de ce nouvel outil, afin que tous, élèves comme enseignants, puissent en tirer le plus grand profit.

Le deuxième sommet sur l'iPad en éducation qui se tient du 1er au 2 mai à Montréal est l'occasion idéale pour revenir sur la place de la tablette dans le système éducatif, d'en tirer un premier bilan d'étape et, surtout, de tracer les perspectives à venir. Les résultats préliminaires du rapport sur l'iPad à l'école de Thierry Karsenti et Aurélien Fievez, publié en toute fin d'année dernière, offrent à ce titre quelques enseignements intéressants.

Des avantages et des défis

L'enquête a porté sur 6 057 élèves et 302 enseignants du Québec, où 10 000 étudiants de tous les âges (jusqu'à 17 ans) utilisent de façon quotidienne un iPad (ils sont 4,5 millions aux États-Unis). On pourra se contenter de la conclusion de l'étude, à savoir que « les avantages dépassent les défis rencontrés », mais ce serait aller un peu vite en besogne, ce d'autant plus que certains résultats sont dignes d'intérêt.

L'étude révèle que 53,6% des élèves n'avaient jamais ou très rarement utilisé l'iPad avant leur expérience en classe. Seuls 15,5% utilisent la tablette sur une base régulière. Du côté des enseignants, les résultats sont encore moins brillants, puisqu'ils étaient 70,2% à ne jamais ou très rarement avoir utilisé l'iPad, quand 15,2% s'en servent « très souvent ». Mal préparée, l'arrivée de l'iPad en milieu scolaire peut se révéler contre-productive, c'est pourquoi il est essentiel d'associer les professeurs très en amont par le biais de formations. Une approche justement suivie par un établissement français dont on a parlé récemment et qui a beaucoup investi sur ces outils (lire Témoignage : une rentrée scolaire avec 750 iPad).

Une fois introduit en classe, que devient l'iPad ? La tablette est utilisée par 88,5% des élèves, en moyenne durant 30 minutes sur une période-type de 60 minutes. 11,5% seulement des élèves ont indiqué n'utiliser l'iPad que moins d'un quart du temps de classe. Quand on compare ces chiffres avec l'utilisation d'un ordinateur portable, l'usage de l'iPad est remarquable : de précédentes expérimentations ont en effet noté que les élèves dépassaient rarement les 25% du temps de classe sur ces machines. « J’essaie d’utiliser l’iPad la majeure partie du temps. Parfois ce n’est pas possible, alors je demande à mes élèves de ne pas l’utiliser, mais c’est rare », précise un professeur.

L'iPad en classe, c'est du sérieux

Avec un iPad entre les mains, n'est-il pas tentant pour les adolescents de faire tout autre chose que d'étudier ? Apparemment non. L'étude montre qu'en classe, la tablette sert d'abord et avant tout à consulter des manuels scolaires, puis à utiliser des applications en lien avec le travail éducatif (iAnnotate, Pages, Dictionnaire…). Instagram, qui n'est pourtant pas disponible sur iPad (autrement qu'en version iPhone « agrandie ») et le courriel sont bons derniers, très loin des autres usages. « Je n’ai pas besoin d’utiliser le courriel avec mes élèves (…) Je les vois tous les jours en classe », indique un enseignant. Plus intéressant encore, l'étude décline les principales activités en classe réalisées avec l'aide de l'iPad.

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Assez logiquement, la réalisation de travaux scolaires est largement en tête, suivie par la recherche de contenus sur internet (« quand l’enseignant pose une question, on peut chercher sur Internet (…) Avec l’iPad, c’est facile et j’aime ça », explique ainsi un élève) et, plus surprenant, par… les jeux ! Les auteurs notent cependant que cette activité ludique intervient principalement après avoir terminé une tâche. La morale est sauve même si « on a le droit de jouer à certains moments (…), mais il y en a qui jouent quand même durant tout le cours », fayote un élève ! L'aspect un peu solennel de ce type d'enquête peut occulter aussi certaines utilisations disons moins scolaires, comme la messagerie instantanée : « Il y a iMessage, ça c’est vraiment intense, les groupes de conversation sont créés, là tout le monde s’écrit (…) et toi, tu réponds », explique un jeune enthousiaste qui n'a visiblement aucun problème à clavarder avec ses camarades en pleine classe.

Malgré la présence de la tablette, le papier reste toujours très présent pour le travail de lecture. L'étude s'étonne ainsi que dans plusieurs établissements où l'iPad est disponible, on demande toujours aux élèves d'acheter des livres en format papier alors qu'ils sont disponibles gratuitement en version électronique, comme les ouvrages tombés dans le domaine public. Un travail de pédagogie reste à faire en direction des professeurs sur ce point.

Apparition de nouveaux problèmes

L'utilisation de l'iPad en dehors des heures de classe est évidemment bien différent. Les réseaux sociaux occupent une grande place pour les élèves (« Mon Facebook est toujours ouvert, je le regarde tout le temps. J’ai mis des notifications, comme ça même quand je fais des devoirs, je sais quand j’ai un message », d'après un élève), mais ce temps est partagé pratiquement à égalité avec les devoirs et les jeux vidéo. 76% du temps d'usage hors classe est consacré à des activités sociales, ludiques ou de divertissement. Si l'on ajoute les 12,7% du temps de jeu en classe cette fois, cela montre à quel point l'iPad est aussi (et presque surtout) un terminal de divertissement. Un élève explique que l'arrivée de l'iPad a fortement abaissé sa pratique du sport. Autant dire que si la tablette a un effet bénéfique à l'école, elle peut aussi occasionner un changement important dans le comportement de l'ado.

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Autre préoccupation sérieuse soulevée par l'enquête : 85% des élèves ne produisent jamais ou rarement des travaux d'écriture avec leur iPad. « Ce résultat montre clairement qu’il n’est, soit pas possible de tout faire avec la tablette tactile à l’école, soit que les enseignants n’ont pas encore réalisé le plein potentiel de l’outil », expliquent les auteurs, qui rappellent que la tablette sert peu à lire des livres numériques. La dimension « productive » de l'iPad n'est sans doute pas suffisamment mise en avant auprès des enseignants. Apple a sa part de responsabilité, en cloisonnant ainsi les applications. Un apprenant témoigne : « C’est difficile d’écrire un texte avec l’iPad. Pour utiliser les autres outils comme Antidote ou le dictionnaire, il faut changer d’application. C’est trop compliqué alors on ne vérifie pas ».

Les élèves pointent les principaux désavantages de l'iPad, vécu d'abord et avant tout comme une source de distraction, suivi par la difficulté à écrire sur la tablette, puis la gestion jugée difficile des travaux. Ces résultats sont d'ailleurs identiques pour les enseignants : il y a là matière à réflexion pour les éditeurs d'applications et surtout, pour Apple.

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Les autres domaines à problèmes relevés par les auteurs sont, après la distraction, l'écriture et la lecture difficiles, des manuels scolaires souvent mal adaptés malgré des outils (comme iBooks Author et iTunes U) qui permettent de créer et distribuer des ouvrages éducatifs relativement facilement. La planification des cours par les enseignants, ainsi que la gestion des travaux sont jugées ardues — plus en tout cas que la traditionnelle gestion par papier. La méconnaissance des ressources et le sous-usage des livres électroniques font partie du problème plus global de l'accès au savoir; dans ce domaine, et malgré la boutique iTunes U, Apple n'a pas su répondre efficacement à cet enjeu.

Enfin, un iPad en classe peut avoir un effet totalement inverse à celui recherché, à savoir… nuire à la réussite scolaire. Il s'agit ici de bien encadrer les élèves dans la découverte et l'utilisation de la technologie qui doit rester un outil et non pas une fin.

Une satisfaction qui ouvre des portes sur le monde

Mais ces problèmes liés à la nouveauté de l'usage de l'iPad en classe (ainsi que d'outils qu'il revient à Apple de développer) sont contrebalancés par les avantages fournis par la tablette. Pour les élèves, la portabilité (« avant mon sac à dos pesait une tonne, maintenant c’est beaucoup plus léger »), l'accès à l'information et la qualité des présentations font partie des principaux atouts de l'iPad; les professeurs mettent plutôt en avant l'accès à l'information en premier, suivi par la portabilité puis la collaboration avec et entre les élèves. Il y a également une autre dimension qui explique l'intérêt des enseignants pour cette nouvelle technologie, résumée dans ce témoignage : « Il est nécessaire d’apprendre aux élèves à utiliser le matériel informatique. La société est basée sur un système numérique et notre rôle en tant qu’enseignant est de préparer les élèves à trouver une place dans cette société ».

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Plus globalement, la grande majorité des élèves ont qualifié leur expérience d'usage de l'iPad comme étant « amusante », suivi, mais de loin, par « utile ». Le qualificatif « inutile » suit de près. En revanche, soulignent les auteurs, « aucun élève n’a mentionné le fait que l’outil leur permettait d’apprendre plus » !

« L'iPad décloisonne l'école dans la société »

Thierry Karsenti, directeur du CRIFPE (Centre de recherche inter-universitaire sur la formation et la profession enseignante) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les TIC et l'éducation à l'Université de Montréal, a répondu à nos questions.

MacGeneration : Qu'est-ce que peut apporter l'iPad en classe, du point de vue de l'élève et du professeur ?

Thierry Karsenti : On a mené ces deux dernières années deux vastes enquêtes auprès de 6 000 élèves et 300 enseignants, avec pour chacune des résultats similaires. La première année de l'implantation de l'iPad, il y avait beaucoup d'avantages pour les élèves et les enseignants, mais aussi des défis qui venaient avec cet usage. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a eu une phase où les élèves se sont habitués à utiliser cet outil et qu'en bout de ligne, les avantages sont liés à l'apprentissage, à la portabilité, à l'accès à l'information, etc. Aucun élève interrogé ne souhaitait arrêter l'expérience d'usage d'une tablette en classe, donc tous souhaitent poursuivre cette expérience.

Les solutions d'Apple (iTunes U, distribution de livres numériques, iBooks Author…) sont-elles parfaitement adaptées aux besoins des professeurs ? Y a-t-il moyen de les améliorer ?

C'est compliqué de répondre à cette question ! Notre enquête révèle qu'il n'y a aucun problème technique rencontré par les enseignants, alors que quand on utilise des PC en classe, c'est le calvaire, c'est des virus à enlever, c'est réellement catastrophique. Encore une fois, avec l'iPad, aucun problème technique n'a été relevé. Il y a des applications qui sont certes moins intéressantes que d'autres. Au niveau des solutions pour les professeurs, c'est parfait, ils peuvent se concentrer sur ce qu'il y a à faire.

Maintenant, rien n'est gagné puisqu'il y a d'autres défis qui viennent, comme le fait de mettre entre les mains des élèves un outil informatique, ils vont être tentés de faire autre chose que d'étudier.

La distribution de livres numériques, c'est nouveau pour les enseignants, en particulier au primaire ou au secondaire, ils ont moins l'habitude, il faut qu'ils se familiarisent avec cet outil. Mais en général, Apple a la réputation de faciliter l'usage des technologies.

En dehors des outils offerts par Apple, le constructeur occupe une place singulière sur le marché de l'éducation en Amérique du Nord et dans le monde. Si Apple a « l'éducation dans son ADN », comment expliquer en retour l'intérêt du monde éducatif pour les solutions d'Apple ?

De ce qu'on a pu voir, certaines écoles avaient équipé leurs classes de PC auparavant, ils avaient une équipe de soutien technique immense, tout le monde était frustré y compris contre les usagers… En bout de ligne, on avait des PC qui étaient régulièrement abîmés, des virus, des problèmes de compatibilité, des problèmes de codecs pour les vidéos… Avec les solutions Apple, on ne fait plus appel à l'équipe technique, donc je pense que l'intérêt pour le monde éducatif réside dans la gestion technique beaucoup plus facile. Ensuite, je dirais : les fonctionnalités simples. Réaliser une vidéo et la mettre sur internet, des élèves de 7, 8, 9 ou 10 ans sont en mesure de comprendre ça facilement et rapidement. Bref, [Apple fournit] des solutions simples dans un monde où le temps des enseignants est précieux, c'est quelque chose d'important. Pour eux, [les solutions Apple] ont cet avantage majeur. C'est ce qui plaît beaucoup aux enseignants.

Les technologies mobiles sont-elles de nature à modifier profondément les relations entre le prof et ses élèves, ou ne faut-il les considérer que comme des outils éducatifs ?

Les relations entre prof et élèves ne sont pas nécessairement modifiées par les technologies mobiles. Il y en a qui utilisent des tablettes qui vont bonifier des tâches qu'ils faisaient traditionnellement avant, il y en a d'autres qui vont les utiliser pour gagner du temps. On a vu aussi d'autres usages qui sont réellement novateurs, car on peut désormais faire des choses en classe qui n'étaient pas possibles auparavant.

Je vous donne un exemple, il y a une application fort intéressante pour les élèves et pour les enseignants qui s'appelle Reflector qui permet aux professeurs d'amener les élèves à projeter le contenu de leur propre iPad [sur l'écran de la classe] sans fil, sans se lever de leur bureau. Autre exemple : en Amérique du Nord, on a ce qu'on appelle des expo-sciences, des concours scientifiques où les élèves doivent mettre en place des petites présentations, des petits projets. Il y a une enseignante de sciences qui me disait qu'elle se trouvait, année après année, devant les mêmes projets puisque les élèves allaient chercher leurs idées dans les mêmes livres à la bibliothèque de l'école. Avec la tablette, il y a énormément d'avantages, il n'y a pas de limites à la créativité des élèves avec ce qu'ils peuvent trouver sur internet.

Ces technologies décloisonnent également l'école dans la société. Elles rendent plus visibles les travaux des élèves, qui les proposent non plus seulement à l'enseignant, mais aussi au monde entier. Donc oui, ces solutions permettent de faire la classe différemment.

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