« Faire les choses correctement nous importe beaucoup plus que de les faire en premier » dit Tim Cook pour justifier que les nouveautés qui étaient censées s’égrener « tout au long » de l’année 2014 se font attendre. L’intention n’est pas seulement louable, elle est constitutive de l’identité même d’Apple. Mais elle n’excuse pas tout.
En promettant des nouveautés « tout au long » de l’année, Tim Cook semblait remettre en cause sa stratégie consistant à concentrer toutes les sorties à la fin de l'année calendaire. Mise en place par un simple décalage du rythme de renouvellement de l’iPhone, elle présente l’intérêt d’aligner les cycles de développement de produits de plus en plus proches sur une échéance où il est hautement stratégique de concentrer l’attention sur Apple… et de la détourner de ses concurrents.
Mais cette stratégie n’a jamais réellement fonctionné, ou du moins pas aussi bien qu’elle aurait pu. Le lancement de la huitième génération d’iMac, à la fin 2012, a été une véritable catastrophe logistique comme Tim Cook n’en a que rarement connu. Et celui du « nouveau Mac Pro » n’a pas véritablement eu lieu à la fin 2013 : encore aujourd’hui, il faut près d’un mois pour s’en procurer un.
Les processus de fabrication inaugurés par ces machines demandent un temps de rodage qu’Apple ne leur laisse pas en faisant de Noël un coup de poker. L’iPhone et l’iPad, autrement plus importants pour les comptes de la société, échappent il est vrai à ces anicroches. Mais ces contrariétés sont révélatrices de petits grippages dans la formidable machine qu’est Apple.
Le tiers de l’année est ainsi passé sans que la moindre nouveauté ne pointe le bout de son nez. Sans même parler d’un hypothétique traqueur d’activité et d’un chimérique téléviseur, une éventuelle percée dans le domaine du paiement mobile et la refonte attendue du Mac mini et du MacBook Air demandent un certain temps et un investissement certain.
Nous sommes — et vous êtes — sans doute impatients, capricieux peut-être, irraisonnables même. Mais Apple était passée maîtresse dans l’art de la gestion de cette impatience chronique dont se nourrit l’industrie informatique. Ce ne sont pas les récentes déclarations de Tim Cook qui feront diversion : il n’avait pas besoin du Wall Street Journal pour nous révéler que chaque seconde qui passe nous rapproche de nouvelles annonces.
Bien sûr, ce faux rythme n’entame pas le succès d’Apple — mais il contribue à écorner son image, que l’assourdissant silence de la société en 2013 n’a pas contribué à améliorer. Il déforme par exemple la perception que l’on peut avoir des résultats financiers de la société : ceux du T2 2014 sont les meilleurs de l’histoire d’Apple hors fêtes de fin d’année… mais on n’en retient que les replis et les croissances tassées. Or nous sommes dans une économie qui s’intéresse plus au potentiel de croissance qu’à la réalité financière, et où les journaux économiques font les rois de l’informatique.
Avec cette stratégie de quitte ou double, Apple attire à elle les commentaires négatifs. Certes, elle peut s’offrir le luxe de faire le dos rond en continuant à vendre quelques dizaines de millions d’appareils et en faisant passer le temps avec sa campagne sur son engagement environnemental ou sa redoutable annonce d’un split de son action. Mais cette situation ne peut durer éternellement et il faudra qu’elle finisse par sortir du bois et de nouveaux produits pour véritablement reprendre la main et dissiper tous les doutes que les commentateurs et détracteurs peuvent avoir à son endroit.
Tim Cook l’a bien compris, et son ton était plus franc que d’habitude lorsqu’il dissertait sur la multiplication du nombre de produits en développement et la nécessité de passer du temps à les peaufiner. On aurait même cru entendre Steve Jobs lorsqu’il reléguait les traqueurs d’activité de ses concurrents au rang de simples jouets et les plateformes de paiement mobile au rang d’expériences ratées. Lui qui n’a jamais été à l’aise dans cet exercice s’est soudainement enflammé, de quoi redonner du baume au cœur aux grands enfants qui sommeillent dans le cœur de tous ceux qui attendent un iPhone 6 et une iWatch.
En cas de retard, la déception serait à la hauteur des attentes fixées par Apple elle-même. Mais il va donc falloir attendre encore un peu avant que ne se déroule le premier keynote de l’année… au mois de juin seulement, lors d’une WWDC qui promet d’être chargée. Chaque seconde qui passe nous rapproche de nouvelles annonces, disait Tim Cook. On les compte.