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iStart-ups : qui sont les rejetons d'Apple ?

Stéphane Moussie

samedi 22 mars 2014 à 13:25 • 15

AAPL

3,2 milliards de dollars, c'est la somme dépensée par Google en janvier pour s'offrir les services d'une centaine d'anciens employés d'Apple, dont le père de l'iPod, Tony Fadell. Les deux seuls produits de Nest, un thermostat et un détecteur de fumée, présentent un grand intérêt pour le géant du Net qui prépare une plateforme pour les objets connectés, mais celui-ci cherchait avant tout à embaucher la talentueuse équipe en grande partie constituée d'anciens de Cupertino.

La centaine d'anciens employés de Nest ayant travaillé chez Apple qui rejoignent maintenant Google - montage Quartz

Ce n'est pas la première fois, loin de là, qu'une entreprise fondée par un ex-employé d'Apple est acquise par l'un des principaux acteurs du marché. Le cas le plus emblématique est certainement celui de NeXT, la société que créa Steve Jobs après avoir quitté Cupertino en 1985. 11 ans plus tard, Apple, sur le déclin et à la recherche d'un système d'exploitation, mise sur l'OPENSTEP de NeXT et réalise alors ce qui reste encore aujourd'hui sa plus grosse acquisition en dépensant 429 millions de dollars (lire : Il y a 15 ans, l'acquisition de NeXT par Apple).

Toutes les entreprises créées par des anciens d'Apple ne sont pas revenues dans son giron, NeXT est même une exception. Certaines, comme Nest, ont été achetées par ses grands concurrents, tandis que d'autres opèrent toujours indépendamment. Tour d'horizon des pommiers sauvages.

The Nest big thing

Quand on pense à une société fondée par un ex-employé d'Apple, c'est souvent Nest qui vient à l'esprit en premier, et ce, pour plusieurs raisons. Son acquisition par Google il y a deux mois y est bien sûr pour quelque chose, mais il y a aussi le fait que cette société ait été cofondée par Tony Fadell.

Matt Rogers, Larry Page et Tony Fadell

L'homme a eu un rôle majeur à Cupertino puisqu'il a été le géniteur de l'iPod. Fadell avait été recruté en 2001 par Jon Rubinstein, alors patron de la division Hardware, qui lui donna comme mission de mettre l'iPod sur les rails en moins de six mois. Une mission que Fadell remplit avec succès puisque c'est l'iPod qui remit Apple sur le devant de la scène au début des années 2000. Le Vice-Président de la division iPod prit ses distances en 2008 puis quitta définitivement l'entreprise deux ans plus tard.

Résumer Nest à Tony Fadell serait toutefois une erreur, ne serait-ce que parce que l'idée de créer une entreprise spécialisée dans les objets domestiques ne venait pas de lui, mais de Matt Rogers... un cadre d'Apple également. Matt Rogers travailla sur le projet Purple, qui allait devenir quelques années plus tard l'iPhone, puis fut notamment responsable de l'iPod nano et de l'iPod shuffle. Il raconte lors de cette interview comment il a annoncé à Fadell qu'il comptait sur lui pour monter sa boîte :

  • Je veux créer une entreprise. Je veux créer une entreprise avec toi !
  • Qu'est-ce que tu veux faire ?
  • Je veux créer une entreprise de produits domestiques intelligents.
  • Tu es un idiot ! Personne n'achète d'objets connectés pour la maison. C'est pour les geeks.

Mais il se trouvait que Fadell était justement en train de construire une maison connectée. Après réflexion, il lança une idée :

  • Pourquoi tu ne fabriquerais pas un thermostat ?
  • Pourquoi pas ? On a pu créer l'iPod.
  • OK, on le fera en six mois.

Et Nest était né. Matt Rogers raconte que l'équipe qu'ils avaient bâtie était « un mélange de [son] ancienne équipe à Apple, d'un de ses anciens professeurs universitaires et de quelques personnes que Tony Fadell avait rencontrées vingt ans auparavant à General Magic. » Aux dernières nouvelles, Nest compte plus de 270 employés... dont plus d'un tiers viennent d'Apple, si l'on s'en réfère à leurs profils LinkedIn. Une recherche sur le réseau social professionnel permet en effet de lister plus d'une centaine de profils travaillant actuellement pour le spécialiste de la domotique qui sont passés auparavant par Cupertino. Le cocktail Nest contient donc une bonne dose de pomme, mais c'était tout sauf un mystère.

Photo Antonio Silveira CC BY

Un simple coup d'œil sur les deux uniques produits de l'entreprise permet de voir la filiation avec Apple. Le thermostat Nest a relégué au rang d'antiquité les autres produits sur le marché à sa sortie. La recette est la même que l'iPod : c'est un bel objet simple à utiliser et vraiment pratique. L'iPod n'était pas le premier baladeur numérique, mais il a réinventé cette catégorie de produits. L'impact de Nest sur les thermostats a été le même. De nouveaux thermostats connectés sont sortis depuis (nous testons actuellement le Tado° et celui de Netatmo), mais aucun n'a son cachet.

Si l'intérêt que Nest représente pour Google est clair comme de l'eau de roche — l'équipe est talentueuse et l'objectif de Google est de ne jamais quitter l'utilisateur (Nest lui ouvre donc la porte de son domicile) —, pourquoi Tony Fadell a-t-il accepté de vendre sa société au principal adversaire d'Apple ?

Outre le joli chèque de 3,2 milliards de dollars, il a expliqué que rejoindre Google permettait à Nest de profiter de la bourse sans fond de Mountain View pour se développer tout en restant indépendant.

Tony Fadell à l'extrême gauche, à côté de Jon Rubinstein

L'autre question qui se pose, et qui n'a pas de réponse aussi claire, c'est celle de l'intérêt d'Apple dans Nest. Cupertino comptait-elle acheter l'entreprise fondée par l'ancien responsable de l'iPod ? Interrogé par plusieurs médias sur le sujet, Tony Fadell a à chaque fois botté en touche.TechCrunch affirme qu'Apple s'était montré intéressée, sans préciser toutefois la teneur de cette attention.

Lors de son départ de Cupertino, Tony Fadell avait promis à Steve Jobs qu'il ne lancerait pas de produits qui entre en concurrence avec ceux d'Apple. Une promesse tenue jusqu'à maintenant, la Pomme se tenant toujours éloignée de la domotique, mais qui pourrait être rompue par l'acquisition de Google. Mountain View assure que Nest va continuer de travailler de manière indépendante, mais la tentation de détacher quelques anciens du 1 Infinite Loop pour améliorer ses produits existants ne sera-t-elle pas trop grande ?

Après tout, ce ne serait pas la première fois qu'une entreprise liée à Apple finit sous la tutelle de Google et contribue grandement à son succès.

Android, d'Apple à Google

La filiation d'Android à Apple est plus tortueuse que celle de Nest à Apple, mais elle existe bien, et un homme sert de fil rouge : Andy Rubin. En 1990, John Sculley autorise une de ses équipes dont le projet de terminal mobile n'a pas abouti à prendre son indépendance. General Magic rassemble des figures emblématiques tels que Bill Atkinson (créateur de MacPaint et HyperCard), Andy Hertzfeld (responsable du système du Macintosh) et attire des personnalités prometteuses. Tony Fadell, oui, déjà lui, refuse une offre d'Apple pour travailler chez General Magic en 1991. Un an plus tard, c'est Andy Rubin, un ingénieur travaillant sur le Mac Quadra, qui est débauché.

Depuis fin 2013, Andy Rubin supervise les projets de robotique de Google

Malgré cet aréopage d'anciens Apple, le système de General Magic ne rencontre pas le succès, doublé par le Newton et handicapé par des produits médiocres. En 2000, Andy Rubin fonde Danger, dans l'espoir de recréer l'expérience General Magic. Cette fois, le succès est au rendez-vous : sorti en 2002, le Danger Hiptop, aussi vendu sous le nom de T-Mobile Sidekick, est un des premiers smartphones modernes. Il dispose d'une boutique d'applications et offre un accès complet au web. Cette dernière caractéristique attire la sympathie de Google, qui a tout à gagner de la démocratisation du web sur mobile pour développer son business.

Le conseil d'administration de Danger limoge toutefois un an plus tard Andy Rubin, pour des raisons qui restent encore inconnues aujourd'hui. Pas découragé pour autant, il fonde Android, Inc., qui a tout d'un Danger bis : le système est basé sur Java, les applications sont distribuées via un canal centralisé et le terminal dispose d'un clavier complet.

Google achète en 2005 Android. Le reste de l'histoire est connu. Le cap du milliard d'appareils Android activés a été franchi en septembre dernier et le système s'attaque maintenant aux montres, entre autres.

Sparrow, l'envolée ratée

Si l'acquisition d'Android par Google s'est révélée être une réussite incontestable, ce n'est pas le cas de Sparrow. La start-up française a été cofondée par Viêt Hoà Dinh, qui avait travaillé chez Apple sur iCal et iSync. Sparrow a apporté une bouffée d'air frais dans le segment des clients mails grâce à son interface simple mais efficace inspirée de feu-Tweetie et à des fonctions bien pratiques comme l'intégration de Dropbox.

Un logiciel tellement bien pensé que le géant du Net l'a acheté en juillet 2012 autour de 15 millions d'euros. Et depuis, plus rien ou presque. En dehors d'une petite surprise pour iOS 7, Sparrow n'est plus mis à jour.

L'acquisition de la start-up aurait été réalisée dans l'optique d'insuffler dans Gmail certains des préceptes de Sparrow. Un an plus tard, l'interface du webmail a évolué, mais pas forcément dans le sens espéré par les utilisateurs de Sparrow (lire : Gmail classe votre courrier à votre place) et l'application Gmail iOS est loin d'égaler Sparrow.

Twitter et Facebook retirent les pépins de la Pomme

Les sociétés fondées par des anciens d'Apple sont-elles condamnées à finir chez Google ? Non, elles peuvent aussi terminer chez Facebook ou Twitter. Après avoir travaillés à Cupertino respectivement comme designer d'interface et ingénieur, Mike Matas et Kimon Tsinteris ont créé en 2010 Push Pop Press, une société spécialisée dans l'édition de livre numérique.

Our Choice: A Plan to Solve the Climate Crisis

C'est cette jeune pousse qui a réalisé Our Choice: A Plan to Solve the Climate Crisis, le livre interactif très impressionnant d'Al Gore. C'est d'ailleurs la seule création de Push Pop Press, car Facebook a rapidement mis la main dessus. Les fruits de cette acquisition sont récemment apparus dans la nouvelle application Paper du réseau social. Paper, qui propose de feuilleter le réseau d'une façon inédite, reprend d'ailleurs des mécaniques d'Our Choice, comme le dépliage de certains éléments.

Paper

Un autre ancien d'Apple a participé au développement de Paper, Loren Brichter. Celui qui fut ingénieur graphique et qui participa au développement de l'iPhone, a monté lui aussi sa propre entreprise. Nommée atebits, elle édite le très bon jeu Letterpress sur l'App Store. Mais Loren Brichter est surtout connu pour avoir créé en 2009 Tweetie, un excellent client Twitter dont l'interface inspire encore aujourd'hui bon nombre d'applications, et pas seulement des logiciels destinés à Twitter.

Tweetie ne fonctionne plus depuis octobre 2012

Le service de micro-blogging a acheté Tweetie seulement un an après sa sortie. Celui qui a aussi inventé le geste de « tirer pour rafraîchir » n'est pas resté très longtemps dans la cage de l'oiseau bleu. Il est parti au bout d'un an et demi et joue le rôle de consultant (Paper, Jelly) quand il ne code pas pour atebits.

Twitter a pris sous son aile une autre start-up fondée par un ancien de Cupertino, Posterous. Sachin Agarwal, qui fut ingénieur pendant six ans chez Apple, avait créé cette plateforme de blogs en 2008. Twitter a acheté Posterous pour son équipe en 2012 et a fermé le service un an plus tard.

UpThere, le mystère de Serlet

Toutes les sociétés d'anciens d'Apple n'ont pas non plus cédé aux sirènes de multinationales. Des personnes bien inspirées ont pris avec succès la vague de l'App Store. Evan Doll, qui était ingénieur sur l'iPhone, a co-créé en 2009 Flipboard, l'application de lecture personnalisée dont Facebook s'inspire allègrement pour Paper, à défaut de l'avoir racheté. Le réseau social Path, dont l'application est très réussie, est lui aussi l'œuvre d'un ancien de Cupertino, Dave Morin.

La société actuellement en activité la plus intéressante est sans doute UpThere de Bertrand Serlet. On sait peu de choses à son sujet, mais au vu du pedigree de son patron et de l'équipe qu'il est en train de bâtir, UpThere attire immanquablement la curiosité.

UpThere a un site minimaliste à l'heure actuelle

Bertrand Serlet, le chef d'orchestre d'OS X, a quitté Apple en mars 2011, après 22 années passées à travailler avec Steve Jobs. En partant de Cupertino, l'ingénieur nourrissait l'espoir de se focaliser « moins sur les produits et davantage sur les sciences informatiques ». Il a fallu attendre le mois de juin de l'année suivante pour apprendre qu'il avait créé une entreprise nommée UpThere, aux objectifs mystérieux (lire : Bertrand Serlet a une start-up dans les nuages). D'après les quelques offres d'emploi postées ici ou là, UpThere est résolument tourné vers le nuage et offrira une « vision claire des technologies servant à la fondation d'un système d'exploitation dans le nuage ».

Difficile de faire plus vague, mais Serlet a depuis, en toute discrétion, embauché toute une palanquée d'anciens collègues, d'après Business Insider. Roger Bodamer, ex-vice président en charge des opérations et de l'ingénierie d'Apple, n'est autre que le CEO d'UpThere. Le vice-président en charge du marketing produit est Chris Bourdon, qui fut responsable du marketing des différentes versions d'OS X. UpThere compte dans ses rangs au moins cinq autres ingénieurs venant d'Apple dont les postes ne sont pas identifiés. La nature des investisseurs semble indiquer que le produit de cette société ne va pas viser en premier lieu les entreprises, mais pourrait bien s'adresser au grand public. Un indice toutefois bien maigre pour comprendre ce qui se trame sous l'autorité de Serlet et Bodamer.

La plantation Apple

Malgré son statut iconique, Apple n'est pas forcément un aboutissement. C'est pour bon nombre de personnes talentueuses un tremplin, comme en témoignent toutes les entreprises suscitées. Autant d'entreprises qui contribuent à diffuser largement sa culture, tout spécialement dans les secteurs où elle n'est pas présente. La quasi-totalité des entreprises fondées par des anciens d'Apple ne se positionne pas en effet comme des concurrents directs. Le Nest, on en revient à lui, est l'exemple parfait. Il apporte les attributs communément liés à la firme de Tim Cook — design, simplicité, innovation — sur un marché déjà existant, mais ignoré par Apple.

L'une des deux seules sociétés qui ont véritablement cherché à rivaliser avec elle est NeXT. Un sacré pari que Steve Jobs a remporté haut la main en faisant de NeXT le défibrillateur dont Apple avait besoin pour revivre. L'autre, c'est Android, ce qui explique la haine viscérale de Steve Jobs à l'encontre d'Andy Rubin.

Plus prosaïquement, ces start-ups jouent un rôle important dans l'écosystème Apple. Tweetie et Sparrow ont ouvert de nouvelles pistes aux applications Mac et iOS, les excellentes réalisations de Mike Matas sont disponibles uniquement sur iPhone et iPad... et ce n'est qu'un échantillon. Les entreprises qui peuvent se revendiquer de l'héritage Apple dépassent le cadre de celles strictement fondées par des anciens de Cupertino. Mais ça, c'est une autre histoire.

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