Apple communique très rarement sur ses fournisseurs — sauf quand elle en publie une liste, une fois par an depuis deux ans. Tea Leaf Nation et China File ont eu l’idée de mettre sur une carte cette liste, l’occasion de revenir sur ce pan de l’activité d’Apple.
Il faut noter que la liste fournie par Apple n’est pas exhaustive, mais partielle : elle n’intègre que ses 200 principaux sous-traitants. Cette liste compte donc les 17 usines d’assemblages de la firme de Cupertino et de ses partenaires, ainsi qu’un peu moins de 800 sites de production de matériaux ou de composants, soit 97 % de la chaîne de sous-traitance d’Apple.
Assemblage : au plus près des composants et au plus près des clients
Les 17 usines d’assemblage d’Apple peuvent être regroupées en deux catégories : celles qui sont situées au plus près des matériaux et des composants et celles qui sont situées au plus près des clients.
Quatorze de ces usines sont localisées en Chine et sont à une exception près la propriété de sociétés taïwanaises : Foxconn (Hon Hai), Pegatron (ex-Asustek), Quanta ou encore Primax, Foxlink et Inventec. La plupart sont situées à Shenzhen, zone économique spéciale ouverte aux investissements étrangers et centre industriel d’importance mondiale débouchant sur la mer. Les sous-traitants s’installent désormais à proximité immédiate des bassins de travailleurs, à l’intérieur des terres, notamment dans la province du Sichuan ou du Henan.
Chez Foxconn (Chine).
Apple est installée à Cork (Irlande) depuis les années 1980 : elle y produisait à l’époque des Mac, elle y prépare toujours les configurations sur mesure de certaines machines. Apple est toujours présente à Frémont (Californie), mais par l’intermédiaire de Quanta plutôt qu’avec sa propre usine. Enfin, Foxconn a ouvert un centre au Brésil, pour servir le marché sud-américain grandissant sans subir les barrières douanières.
Bref, comme nous le pressentions il y a quelques années, Apple revient progressivement à un modèle mixte, associant puissance de l’industrie chinoise et flexibilité de la desserte locale.
La puissance brute de l’industrie asiatique
« Usine du monde », la Chine accueille 331 sites de production de matériaux ou de composants travaillant avec Apple. On aurait néanmoins tort de penser qu’elle est incontournable : il y a plus de sites de production associés à Apple hors de Chine (417) qu’en Chine (331). Plus que d’industrie chinoise, il faut donc parler d’industrie asiatique.
À la manière du Japon et des quatre dragons, la Chine passe progressivement d’un modèle associant marges faibles et gros volume à un modèle basé sur la forte valeur ajoutée et la production de connaissances. Les entreprises chinoises, mais aussi et surtout les entreprises taïwanaises implantées en Chine commencent ainsi déjà à délocaliser vers les pays émergents de la région. L’enjeu est évidemment économique, la main-d’œuvre des cinq tigres étant encore moins chère que la main-d’œuvre chinoise.
Chez Chimei Innolux (Taïwan).
L'enjeu est aussi stratégique : Apple conditionne de plus en plus ses contrats à une localisation hors de Chine, notamment pour mieux protéger sa propriété industrielle et pour limiter les fuites. Apple compte déjà une cinquantaine d’usines partenaires en Thaïlande, en Malaisie, au Viêt-nam, aux Philippines et en Indonésie, qui fabriquent des puces diverses et variées et des écrans, mais aussi le velours au revers des Smart Cover. Les rares disques durs encore présents dans les Mac proviennent pour l'immense majorité de Thaïlande.
Certains des partenaires les plus importants d’Apple sont originaires des déjà « vieilles » économies que sont les quatre dragons. Les touches des claviers Apple sont toujours conçues par l’entreprise japonaise Alps. Les écrans des appareils iOS et des Mac proviennent de Taïwan (AU Optronics et Chimei Innolux), de Corée (LG Display) ou du Japon (Sharp). Les puces mémoires et les SSD utilisés par Apple sont conçus dans ces mêmes pays et à Singapour (Elpida, Micron, Samsung, Toshiba, Sandisk, TDK).
L’expertise des sociétés européennes et américaines
Une autre production est plus spécialisée, comme celle réalisée en Europe et en Amérique du Nord. Le Texas est connu comme un haut lieu de la conception de semi-conducteurs et notamment de processeurs. L’Europe n’est pas en reste : certains MEMS utilisés dans l’iPhone et l’iPad sont conçus par STMicroelectronics en France et en Italie, certaines puces réseau par Infineon en Allemagne. Mais la plupart des entreprises impliquées produisent ailleurs : Samsung fond quelques puces Apple AX à Austin, mais la plupart en Asie, STMicroelectronics traite les wafers fabriqués en France à Singapour et Infineon produit en Malaisie.
Chez Samsung (Austin, Texas, sans le moindre employé en vue).
C’est une constante : la plupart des implantations européennes et américaines des fournisseurs d’Apple abritent des ingénieurs plus que des ouvriers et sont associées à des usines asiatiques. « Certains emplois ne reviendront pas », disait Steve Jobs à ce sujet : le partage entre industrie de pointe et industrie de masse entre emplois hautement qualifiés et emplois peu qualifiés est clair, les deux ensembles s’articulant de manière assez simple à comprendre. Et cette ligne de partage traverse aussi la Chine, à mi-chemin entre simple usine et bureau d’étude.
Les Apple Store sont un bon résumé de la situation. Les pièces en acier et en titane formant l’ossature des escaliers de verre sont fabriquées par TriPyramid aux États-Unis, tandis que les panneaux métalliques polis requièrent tout le savoir-faire des Japonais de Nisshin Steel. Les surfaces vitrées sont fabriquées par Bischoff Glass Technologies en Allemagne, mais seul Beijing North Glass Safety Glass était capable de mettre au point les techniques de fabrication des panneaux incurvés monumentaux de l’Apple Store de Shanghai. Cette entreprise chinoise ne s’est donc pas contentée de fabriquer sur plans ou d’assembler des pièces produites en Asie du Sud-Est (lire aussi Apple Store : le nouveau cube de Jobs pour cette semaine ? sur la politique du sur-mesure d'Apple).
Une histoire du monde industriel moderne
À travers cette liste, Apple décrit le monde industriel moderne, qu’elle a compris mieux que n’importe qui d’autre pour se hisser au sommet de la bourse. À l’Europe et aux États-Unis la conception de certaines des puces les plus complexes ; au Japon, à la Corée du Sud et à Taïwan celle des écrans et des puces flash. L’Asie du Sud-Est permet de fabriquer le tout à bas coût, la Chine construit ce qu’il manque et, surtout, assemble le tout avant de le renvoyer.
Cette liste montre aussi comment est en train d’évoluer ce schéma grossier. Doucement, mais sûrement, l’assemblage revient au plus près des clients, ici pour échapper à des frontières douanières, là pour accélérer les délais de livraison. La Chine n’est plus uniquement une usine, mais aussi un centre de développement appelé à prendre de l’importance dans le futur. Et une partie de la production industrielle commence à être relocalisée.
Les noms de cette liste ne devraient pas beaucoup évoluer dans les prochaines années ; mais la carte, elle, pourrait être complètement bousculée.