Les premiers effets de la politique de Tim Cook sont déjà visibles : Apple est entrée dans le quatrième âge de son histoire avec une organisation plus classique et une stratégie financière plus conventionnelle. Qu’est-ce que cela implique pour ses futurs produits ?

Steve Jobs prenait plaisir à décrire Apple comme une « start-up multinationale », mais la mort de son co-fondateur a aussi signé la mort de ce concept d’un point de vue structurel. Steve Jobs était un micro-manager très impliqué dans le quotidien de son entreprise, Tim Cook a augmenté les prérogatives de ses subordonnés. Steve Jobs était suffisamment familier des arcanes de la bourse pour faire antidater ses options, mais Tim Cook et Peter Oppenheimer en sont des experts et versent des dividendes, rachètent des actions et ouvrent des lignes de crédit pour affermir la position d’Apple à long terme.
Une start-up, même multinationale, ne peut générer de la valeur que par la fuite en avant et beaucoup ne jugent toujours Apple qu’à sa capacité à enchaîner les succès. Apple a certes dépassé ce stade le jour où elle est sortie de la chambre de Steve Jobs, mais la transformation est réelle. La firme de Cupertino sait aujourd’hui créer immédiatement de la valeur par un simple réglage de ses paramètres économiques, comme le font toutes les sociétés inscrites dans un temps long. Les décisions financières de Tim Cook ne font pas rêver, mais elles sont capitales. Elles offrent à Apple les moyens de ses ambitions pour la décennie à venir.
Le doublement du retour aux investisseurs n'est pas uniquement destiné à contenter les marchés. C’est aussi un signal envoyé aux salariés et futurs salariés d’Apple : soutenir la croissance du cours de l’action, c’est augmenter la valeur potentielle des stocks options. Assorties à une date d’échéance, elles sont des « menottes dorées » qui retiennent efficacement les talents (jusqu'à dix ans pour les cadres dirigeants). Promesse de gains substantiels et assurés, elles peuvent attirer les petits génies qui préfèrent bien souvent les sociétés de taille moyenne sur le point d’entrer en bourse.
En annonçant qu’il ne faut pas compter sur de nouveaux produits avant l’automne, Tim Cook rappelle que 2013 est une année de transition, aucune nouvelle technologie de rupture n’étant à l’horizon. Ce ralentissement concerne toute l’industrie informatique, mais il touche d’autant plus Apple qu’il accentue l’effet de la saturation du marché de l’iPhone, de la dépression du marché du PC et de la contraction de la marge réalisée sur l’iPad. Mais en se projetant déjà en 2014, il établit aussi Apple dans un temps plus long. Il donne l’impression de préparer le terrain pour des produits à la fois plus profonds et moins significatifs.
Moins significatifs à court terme, car les « nouveaux marchés » qu’Apple va investir n’auront peut-être pas le même impact sur ses résultats que l’iPhone : une probable montre se vendra à des millions d’exemplaire, mais avec un bénéfice réduit ; un éventuel téléviseur sera très rentable, mais à des niveaux de ventes beaucoup moins élevés ; l’iPad lui-même prend son temps pour prendre une part importante de l’activité de la firme de Cupertino.
Mais plus profonds à long terme, parce qu’ils changent le visage d’Apple et celui de l’informatique, qui devient à la fois plus fragmentée et plus unifiée — bref, qui devient ambiante grâce au nuage. En abandonnant la partie « Computer » de son nom, Apple s’est redéfinie comme une société du monde mobile, mais elle devient en fait une société de lifestyle, qui conçoit des produits du quotidien, des produits intimes. Tim Cook la mène vers sa destinée de nouveau Sony… et réalise au passage le rêve de Steve Jobs.
Que reste-t-il de la start-up multinationale ? Sans doute une certaine culture de l’excellence, motivée par un sens aigu de sa propre obsolescence. En cela, un échec de Tim Cook serait un échec lourd : l’édifice qu’il construit est pour le moment un château de cartes aux pièces éparpillées. Mais un succès serait tout aussi irrévocable : il établirait des fondations solides aux pièces imbriquées pour la nouvelle Apple qui se dessine. Dit autrement : vos données dans le nuage affichées sur une montre à votre poignet, c’est aussi une « menotte dorée ».