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Jobs : un premier biopic qualité PC

Nicolas Furno

lundi 28 janvier 2013 à 14:02 • 42

AAPL

Attendu pour le mois de juin en France, Jobs sera le premier film biographique sur Steve Jobs à sortir sur les écrans depuis le décès du fondateur d’Apple. Ce film a été diffusé ce week-end à Sundance, festival spécialisé dans le cinéma américain indépendant. Les critiques ont fleuri depuis cette première diffusion mondiale, l’occasion d’esquisser une première opinion à partir de ces avis, en attendant de voir Jobs et de vous faire votre propre idée…





Un Steve Jobs correct



Comme Les Pirates de la Silicon Valley, un téléfilm sorti à la fin des années 1990 et qui était jusqu’ici le seul film à raconter l’histoire de Steve Jobs, Jobs ne s’intéresse pas aux dernières années d’Apple et de son patron. Le long-métrage réalisé par Joshua Michael Stern ouvre en 2001, avec la présentation de l’iPod, pour revenir ensuite aux débuts, au cœur des années 1970. À partir de là, Apple enchaîne les succès avec une facilité déconcertante et le matériau devient moins intéressant pour écrire un scénario et il n’est guère étonnant de s’arrêter à cette présentation symbolique. L’autre film sur Steve Jobs, celui qui n’a pas encore de titre ni d'acteur choisi pour le rôle-titre, mais qui est écrit par Aaron Sorkin, scénariste de l’excellent The Social Network sur le fondateur de Facebook, suit d’ailleurs exactement cette même idée.

Le propos de Jobs est donc de s’intéresser à l’homme qui a fondé Apple. Comme bon nombre de biopics, celui-ci se penche sur une période seulement, en l’occurrence une période qui va des années 1970 jusqu’au retour de Steve Jobs à la tête d’Apple en 1997. Ce personnage est évidemment central et il est aussi très connu du grand public : celui qui interprète Steve Jobs est nécessairement scruté par tous les spectateurs et tous les observateurs. Pour preuve, nous en avons régulièrement parlé depuis l’annonce du projet, commentant les images officielles du film pour scruter les ressemblances et différences entre le modèle et la copie.


Steve Jobs interprété par Ashton Kutcher


Ahston Kutcher a eu la lourde tâche d’incarner Steve Jobs à l’écran et tous ceux qui ont vu Jobs n’ont pas manqué d’aller de leur commentaire à son sujet. Cet acteur abonné aux rôles de jeunes premiers a impressionné la plupart des premiers spectateurs du film, à l’image d’Indiewire qui indique : « le jeu impliqué de Kutcher est certainement son rôle le plus impressionnant depuis des années. » De la même manière, The Verge salue le travail de l’acteur qui a expliqué à l’occasion de Sundance avoir regardé des centaines d’heures de vidéos de son modèle (il a été jusqu'à suivre un régime à base de fruits qu'aurait suivi Steve Jobs et qui a d'ailleurs envoyé l'acteur à l'hôpital). Un travail qui a payé selon le site :


Dès la première scène de conférence, Kutcher parvient à reproduire les manières de Jobs l’orateur. Son rythme. Ses gestes de la main. Ses excentricités uniques dans sa manière de s’exprimer. Il faut quelques secondes pour s’adapter à la voix plus basse de Kutcher, mais il réussit ensuite à capter correctement la marque de fabrique de Steve Jobs sur scène.


Physiquement aussi, Ashton Kutcher parvient à incarner correctement Steve Jobs, si bien que l’illusion devrait fonctionner, même pour ceux qui connaissaient bien le patron d’Apple selon TNW. L’acteur est tout de même moins bon dans certains cas, notamment lors de scènes sentimentales — ses relations difficiles avec sa fille et la mère de son enfant —, mais les critiques restent globalement positives à l’égard d’Ashton Kutcher. C’est bien le minimum syndical pour un film biographique de représenter correctement son personnage principal, le pari semble réussi pour Jobs.


Steve Jobs, en chair et en os


L’histoire selon Jobs



La réaction de Steve Wozniak face à ce premier film biographique en dit long. L’ancien ami de Steve Jobs et cofondateur d’Apple a commencé par critiquer le premier extrait vidéo, expliquant qu’il n’avait rien à voir avec la réalité (lire : Jobs : Steve Wozniak ne se retrouve pas dans son personnage). Suite à la présentation du long-métrage à Sundance, The Verge lui a demandé s’il avait été mis à contribution pendant l’élaboration du scénario et sa réponse est très claire :


On m’a approché dès le départ pour Jobs. J’ai lu le script au maximum de ce que je pouvais supporter et j’ai compris que c’était de la foutaise.


Steve Wozniak ne manque pas de reproches à l’encontre du scénario écrit par Matt Whiteley, mais le premier est l’importance de la drogue. On sait que Steve Jobs a expérimenté des drogues dans les années 1970, mais il n’en aurait jamais proposé à son ami selon ce dernier et il n’en aurait même pas parlé. Devant tant d’erreurs, Steve Wozniak a préféré aider l’autre futur film écrit par Aaron Sorkin.



Ces critiques à l’encontre de Jobs sont en fait la preuve de l’omniprésence de Steve Jobs dans le film. Puisque le long-métrage de Joshua Michael Stern est un film biographique, la présence du créateur d’Apple est logique et normale, mais le film a tendance selon ces premiers retours à effacer totalement les autres personnages. Pour condenser une vie en deux heures, il fallait nécessairement faire des choix, mais ici on s’attache un peu trop uniquement à Steve Jobs et encore, uniquement quand il est à la tête d’Apple.

De la même manière que Les pirates de la Silicon Valley ne s’intéressait pas au Steve Jobs du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, Jobs efface totalement la période NeXT, résumée à une mention si rapide qu’il ne faut pas cligner des yeux sous peine de la rater, précise The Verge. Pixar n’est même pas mentionné, mais après tout ces choix peuvent se comprendre, il s’agit de fiction et non d’un documentaire. Certaines absences sont plus gênantes, comme le note The Next Web :


Des pans entiers concernant le développement du Macintosh et du Lisa ne sont tout simplement pas présents, comme la visite au Xerox Parc et les accords de licence qui ont suivi. Par la suite, les rôles de certains acteurs, comme Jeff Raskin, ont été considérablement modifiés et ils s’éloignent de la réalité. Les principaux membres de l’équipe du Mac, comme Andy Hertzfeld et Burell Smith, sont réduits à des apparitions à l’écran.


On comprend ainsi mieux le désintérêt de Steve Wozniak : Jobs n’en a que pour son personnage principal, effaçant tous les personnages secondaires pourtant essentiels. Même quand ils sont présents, le scénario peine à leur donner de l’épaisseur et une quelconque crédibilité. Que ce soit la petite amie de Steve Jobs — apparemment très ridicule dans le film —, le premier investisseur d’Apple Mike Markkula ou encore John Sculley, tous ces personnages sont réduits à de courtes apparitions et manquent de charisme et de présence. Ne parlons pas de Bill Gates, réduit à une brève conversation téléphonique où l’on ne voit que Steve Jobs…

Seul Steve Wozniak a droit à un peu de présence aux côtés de Steve Jobs, même si ce n’est pas toujours avec justesse selon le principal intéressé. Même ce personnage, plutôt bien interprété par Josh Gad selon ces retours, ne vit que par et pour Steve Jobs et il aurait pu avoir un rôle beaucoup plus important. Comme le résume très bien CNET, le patron d’Apple n’a personne à qui parler dans le film :


Kutcher dit au moins 40 % du script dans Jobs. Malheureusement, il n’a personne à qui parler. Dermot Mulroney, qui interprète Mike Markkula, secoue la tête face aux excès de Steve Jobs sans vraiment le confronter. J.K. Simmons, qui joue le membre du Conseil d’administration d’Apple qui a viré Jobs, est un méchant de dessin animé. Les femmes dans le film existent à peine.




Un hommage trop appuyé ?



Le problème finalement, c’est que Jobs offre un hommage bien trop appuyé pour convaincre totalement, à l'image de la scène d'ouverture qui est le pire moment du film selon The Verge (Steve Jobs présente l'iPod devant une foule en délire et le film ose le ralenti avec une musique victorieuse).

Comme le notent tous les critiques, le film tente bien de dresser un portrait sombre de Steve Jobs, notamment à travers sa relation difficile avec sa fille et la mère de l'enfant. The Next Web fait remarquer toutefois que ces scènes sont très mauvaises et bien peu convaincantes. De façon plus générale, le scénario semble avoir été conçu pour constamment mettre en avant le génie de l’homme et écarter les quelques points négatifs que l’on pourrait soulever. Comme l’écrit CNET :


Les concepteurs du film sont plus motivés à montrer Steve Jobs comme un génie. Les personnages secondaires passent leur temps à lui expliquer pourquoi quelque chose ne peut pas être fait ; Kutcher sourit mystérieusement et écarte leurs remarques […] Ses collègues se disputent avec lui, mais ils n’obtiennent jamais rien, parce que leurs rôles sont mal écrits et que les concepteurs du film n’ont pas envie de montrer que leur sujet a pu se tromper.


De l’avis quasiment général, ce parti-pris est sans doute le plus gros handicap du film. Slashfilm note lui aussi l’étrange absence d’explications de la part du scénario dès qu’il s’agit d’aller contre l’avis de Steve Jobs. Jobs passe rapidement sur de nombreux évènements importants, trop rapidement sans doute pour intéresser vraiment.

Les limites chronologiques du film sont bien trouvées, c’est indiscutable. Ne pas évoquer l’après-iPod pour se concentrer sur la création d’Apple jusqu’au retour de son fondateur à la tête de l’entreprise à la fin des années 1990 était sans doute la meilleure solution. Le film de deux heures est loin d’être satisfaisant en faisant les mauvais choix, à tel point que The Next Web a trouvé le long-métrage trop long dans sa deuxième heure.



Au total, Jobs évoque plus une collection de faits épars rassemblés en un film tourné entièrement vers son personnage, qu’à une histoire profondément humaine. Plusieurs avis vont dans ce sens : Joshua Michael Stern est passé à côté du vrai sujet, son film est un portrait assez réussi sur le plan technique, quoique trop favorable à son personnage peut-être, mais il est trop sage et trop dans le mimétisme pur pour constituer un grand film.

La réussite de David Fincher dans The Social Network ne tenait pas tant à l’interprétation réussie de Mark Zuckerberg, mais plutôt à la description réussie d’un homme et surtout d’une époque. Selon Indiewire, Jobs ne prend pas assez de risque pour constituer une réussite ; CNET de son côté regrette que la vie de Steve Jobs, qui offre le matériau nécessaire à un grand drame, ait été si mal exploitée dans cette version édulcorée ; Slashfilm de son côté qualifie Jobs de "version PC" du film biographique sur Steve Jobs et espère trouver la version Apple dans l’autre film encore en préparation.

Ne terminons pas sur une note négative pour relever — comme Steve Wozniak lui-même qui dit attendre ce film qu’il qualifie de "big hit" — que Jobs reste un film efficace et divertissant qui mérite d’être vu pour ses acteurs. Ashton Kutcher a réussi son pari si l’on en croit ces premiers retours, il compose un Steve Jobs convaincant et The Verge comme The Next Web recommandent de le voir, ne serait-ce que pour lui.
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