Le chemin parcouru par Apple est fascinant. Autrefois presque anonyme, elle est désormais présente dans les médias jour et nuit et est devenue un sujet de conversation incontournable. Qui aurait cru il y a dix ans qu’elle s’inviterait non seulement dans le débat présidentiel américain (passe encore) mais aussi dans celui de la présidentielle française !
Apple fait vendre du papier et doit en faire vendre à n’importe quel prix. Les histoires du « come-back » et les analyses sur sa domination laissent ainsi place à la mode du « Apple bashing » — plus c’est gros, plus ça passe ! Edmund Conway en a encore récemment donné un bon exemple : ce journaliste américain a annoncé « quitter Apple », lui reprochant notamment de ne plus « être cool » ou d’avoir eu l’idée de présenter un nouveau connecteur.
Se proclamer fan de nouvelles technologies et être contre l’évolution, pose un problème. Quitte à se payer la pomme, autant le faire de manière argumentée et cohérente. Apple, ses produits et ses services sont en effet loin d’être parfaits, et la société, comme toutes les autres, perd parfois des clients, qui partent sans doute pour de bonnes raisons. Comme ceux qui choisissent Apple ont de tout aussi bonnes raisons.
On peut donc critiquer Apple sans pourtant tomber dans la caricature ou le grand n’importe quoi. Alors, si on avait à faire part de nos griefs à Tim Cook, voici ce qu’on lui dirait. Et non, cette liste n’est pas exhaustive.
Le culte de la minceur
De tout temps, Apple a été obsédé par la finesse : au fil du temps, l’iMac ou l’iPod, pour ne citer qu’eux, n’ont cessé de s’affiner. Mais cette obsession est aujourd’hui pathologique et contre-productive.
Super, l’iPhone 5 est 20 % plus fin que son prédécesseur. Mais on troquerait volontiers 2 ou 3 mm d’épaisseur contre une plus grosse batterie et donc une meilleure autonomie. Avoir un ordinateur dans la poche, c’est bien, pouvoir réellement s’en servir comme un ordinateur de poche et donc sans craindre la panne sèche, ce serait mieux.
Cette volonté maladive de tout réduire complique parfois l’utilisation des appareils. Sans même parler de la multiplication des adaptateurs pour les Mac, on se dit que l’iPod original avec sa grosse molette était bien plus simple à utiliser que ne l’est aujourd’hui l’iPod nano 7G avec son petit écran tactile et ses boutons taille pygmée.
Les bridages mesquins
Apple est de plus en plus mesquine. Il y a quelques années, elle mettait des encoches dans ses rallonges USB pour qu’on ne puisse pas les utiliser avec autre chose qu’un clavier Apple. Aujourd’hui, elle réserve la plupart des options de configurations aux modèles les plus chers, sans aucune raison technique.
On pourrait continuer la liste pendant longtemps, très longtemps, mais l’on s’arrêtera à un point qui nous agace particulièrement : pourquoi diable Apple réserve-t-elle le TRIM à ses propres SSD ? De nombreux utilitaires permettent de l’activer en un clic sur des SSD tiers, sans aucun problème pour le moment — à part la désactivation de cette fonction à chaque mise à jour du système.
Tous ces petits points de friction sont des détails pris un par un, mais sont passablement suants lorsqu’on les additionne. Apple ne perdrait rien à les résoudre, bien au contraire…
La politique tarifaire osée
Apple doit sans doute être la seule société ayant le culot (ou l’arrogance) de vendre un ordinateur de bureau à 1 349 € avec un simple disque dur 5 400 TPM. Il est monté dans un imposant silent-block, nul doute qu’un disque dur 7 200 TPM n’aurait pas été beaucoup plus bruyant (toujours moins de toute manière que les disques 3,5" de la précédente génération). Quitte à faire ce choix, elle aurait au moins pu proposer l’option Fusion Drive sur tous les modèles, voire la proposer de série au moins sur le haut de gamme.
Image iFixit
Dans le même genre, continuer à facturer 100 € le doublement du stockage sur les appareils iOS est tout simplement stupide. Même si le prix de la NAND pouvait justifier cette pratique — ce n’est pas le cas — on a du mal à comprendre comment 32 Go de flash (lorsque l’on passe de 32 à 64 Go) peuvent valoir autant que 16 Go (lorsque l’on passe de 16 à 32 Go). Enfin si, on comprend, il y a la sacro-sainte marge…
Autre point sur lequel Apple est facilement critiquable, sa politique de change particulièrement asymétrique : elle est (très) souvent plus prompte à augmenter les prix qu’à les baisser… Sa grille de correspondance des prix est ainsi perpétuellement décalée : un iMac est vendu aujourd’hui en France environ 144 € de plus qu'en Californie… C’est malheureusement la quasi-totalité de l’industrie informatique qui se fait les poches des consommateurs européens, Apple ne se distinguant pas.
La politique (ou l’absence de politique) de validation de l’App Store
Les plateformes centralisées de téléchargement d’Apple ont changé la vie de millions d’utilisateurs et sont indéniablement pratiques. Un nouvel appareil iOS ? Un mot de passe plus tard, vos apps se téléchargent. Un nouveau Mac ? Quelques clics et vous retrouvez votre environnement de travail.
Les choses sont moins roses de l’autre côté du miroir. Apple fixe ses règles, elle en a parfaitement le droit. Mais ces règles sont parfois mouvantes, ne sont pas toujours très claires et appliquées de manière très cohérente. Pour le développeur, la validation est donc parfois une loterie : quand les choses se passent mal, elles peuvent très mal se passer.
AppShopper est un bon exemple récent : sans doute utilisée par plusieurs millions de personnes, cette application a été retirée de l’App Store du jour au lendemain. Apple a décidé un beau matin de changer les règles du jeu, comme d’habitude sans prévenir les éditeurs (lire : App Store : Apple ajoute discrètement une règle). Une économie s’est certes construite grâce à Apple, mais les appareils iOS se vendent aussi grâce à leur écosystème logiciel. Le nécessaire équilibre dans cette relation commerciale n’est pas toujours là.
Apple change souvent ses règles, mais en plus, elle ne les respecte pas toujours elle-même. Dans iGeneration pour iPad par exemple, nous avons implémenté les achats in-app dans les règles de l’art, en suivant à la lettre les recommandations édictées à la WWDC. Ce qui est valable pour les ingénieurs d’Apple et pour les milliers de développeurs qui ont payé pour les écouter ne l’est visiblement pas pour les équipes de validation. Pas la peine de s’expliquer, on se heurte à un mur : il nous a donc fallu revoir notre approche, et tant pis si elle est bien moins sensée et agréable pour l’utilisateur. Apple n’est pas connue pour son obsession de l’expérience utilisateur, si ?
Dernier point qui met (à juste titre) les nerfs des éditeurs à vif : les délais de validation. Un délai d’une semaine est raisonnable, même si on aimerait dans l’absolu que les choses soient encore plus rapides. De même, on comprend qu’en période chargée, les délais s’allongent un peu. Mais que l’on doive attendre quasiment un mois pour qu’une simple correction de bogues ne nécessitant rien d’autre qu’une validation technique (et donc automatisée) soit publiée est tout simplement inadmissible.
D’autant, on le rappelle, que les éditeurs payent pour les services d’Apple : à elle de respecter sa part du contrat donc. Peut-être en commençant par accélérer le délai de paiement des 70 % dus aux éditeurs, par exemple.
Les bogues perpétuels et les mises à jour
L’erreur est humaine et les logiciels ont donc des bogues. Mais pourquoi, pourquoi, des bogues qui ont été résolus reviennent ? À chaque mise à jour majeure d’OS X, les bogues affectant le Wi-Fi reviennent, et il faut toujours trois à six mois pour retrouver une connexion fiable. À chaque mise à jour majeure d’iOS, les problèmes d’autonomie reviennent, et il faut toujours un ou deux correctifs pour pouvoir à nouveau passer la journée.
Certains bogues connus ont subsisté pendant des années — un en particulier, qui touchait QuickTime, était devenu une blague parmi les développeurs tant la situation était ubuesque. OS X et iOS ne cessent de s'améliorer, mais de petits points de frictions ne sont jamais résolus voire empirent — allez expliquer pourquoi la plupart des fenêtres d’iTunes 11 sont toujours modales ou pourquoi après avoir nettoyé l’interface d’OS X, Apple s’est sentie obligée de créer deux nouveaux designs de menus contextuels (iPhoto et iTunes) !
Sur un sujet similaire, la politique de mises à jour d’Apple pourrait s’améliorer, notamment en matière de sécurité. La firme de Cupertino a augmenté d’un an le cycle de vie d’iOS, un bon point qui permettra à certains de garder un peu plus longtemps leur appareil. Mais elle réserve souvent ses mises à jour de sécurité aux deux dernières versions d’OS X et toujours à la dernière version d’iOS. Elle laisse ainsi dans le noir des millions d’utilisateurs qui ne peuvent pas passer à une version plus récente du système et sont victimes de failles laissées béantes. Sans aller jusqu’à adopter le modèle de Microsoft, Apple pourrait sans doute mieux protéger l’ensemble de ses utilisateurs, et pas seulement les plus récents ou les plus fortunés.