Les géants du marché IT ne voient pas d'un bon œil le futur brevet unitaire européen. Destiné à protéger de manière uniforme les inventions dans toute l'Europe, celui-ci pourrait contribuer à l'émergence de patent trolls, s'alarment une quinzaine d'organisations.
Les associations ESIA et SFIB, qui représentent 25 entreprises, ainsi que 14 sociétés (Apple, Bull, Cisco, Google, HP, Intel, Microsoft et Samsung...), ont formé une coalition pour exprimer leurs craintes à l'égard du brevet unitaire européen. Alors qu'aujourd'hui chaque brevet doit être validé par chacun des 28 pays membres, le système sera unifié à partir du 1er janvier 2014.
Dans une lettre adressée aux responsables européens, les organisations s'y opposent et estiment qu'il y a là un risque de "créer des opportunités significatives d’abus". Le règlement européen pourrait "dans certains cas, permettre aux plaignants d'obtenir une décision d'infraction rapide, avec une injonction requérant l'interdiction de vente de produits dans la majorité du marché européen, avant que la validité du brevet en question n'ait été déterminée", souligne la coalition.
Le brevet unitaire ouvrirait selon eux la porte à des procès pouvant aller jusqu'à bloquer la vente de certains produits. La mobilisation de tant d'entreprises concurrentes est unique, reconnait Horacio Gutierrez, vice-président des affaires corporate et juridiques de Microsoft. Concrètement, les opposants au brevet unitaire ne veulent pas avoir à payer des sommes monumentales pour "un brevet trivial dans un objet complexe". Pour éviter que cette décision ne profite aux patent trolls, ces entreprises qui ne produisent rien et qui collectent et déposent simplement des brevets pour attaquer les autres sociétés afin de s'enrichir, la coalition souhaite donc quelques changements concernant les règles proposées. De son côté, l'April, l'association de promotion des logiciels libres, rappelle qu'à l'automne dernier un demi-millier d’entreprises avaient critiqué ce projet. Selon l'April, la solution résiderait d'abord en "un rappel, clair, et une bonne fois pour toutes, de l'interdiction des brevets logiciels en Europe".
Les doléances exprimées par la coalition internationale ont été entendues et l'Union explique qu'un même tribunal aura les éléments nécessaires pour trancher "en connaissance de cause" en cas de litige et violation de brevets. En France, l'Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (Afdel) demande aux entreprises de rester prudentes, notamment en ce qui concerne le coût des procédures à venir.
Les patent trolls font partie de la vie économique américaine. Ils sont responsables de 60 % des affaires judiciaires en matière de brevets aux États-Unis. Plus de 100 000 sociétés ont été attaquées l'année dernière par eux. Pour lutter contre cette guerre des brevets, Barack Obama a annoncé cet été une série de recommandations législatives (lire : Les patent trolls dans le viseur des États-Unis).